lundi 5 octobre 2015
On continue encore
Jeudi 01-10/J13
Réveillé à 3h00,
j’assiste aux manœuvres d’accostage depuis la passerelle. Salué par le pilote
et le captain qui, souriant mais fermement, me prie de me déplacer pour ne pas
les gêner. Nous passons devant des cargos – certains bien plus imposants que
l’Utrillo – avant de faire demi-tour, au milieu du fleuve, sous la poussée plein
pot de deux remorqueurs. L’opération aura pris moins de cinq minutes. Une fois
à quai, commence le ballet des portiques, réglé comme du papier à musique. On
nous remet nos passeports et un taxi nous amène à Savannah. Chauffeur noir très
sympa. A la question d’Alma, « combien de temps dure la saison des
pluies », il répond… « twelve months, ma’am ». On en
reparlera ! Aime vivre ici, au calme. Il y a du boulot facile à décrocher
si on veut travailler. A la question de Paul, comment est la vie ici, réponse…
« slow ! If NYC is on level 0, Savannah is on level -3 ». On
passe par des quartiers pauvres, manifestement habités par des noirs, certaines
maisons semblent tout droit sorties de « La Case de l’Oncle Tom ». Le
centre historique est quant à lui envahi de touristes, dont nous sommes
évidemment. Le must, c’est le tour de ville en trolleys attelés ! Je me
contenterai de parcourir les rues et une partie des splendides squares
ombragés, généreux en bancs publics. Très belles maisons et bâtiments civils
anciens antérieurs à la Guerre de Sécession. La ville fut épargnée par les
bombardements lors de l’offensive décisive contre les confédérés. C’est ici que
naquit, dans les années 1960, une prise de conscience citoyenne pour la
préservation du patrimoine. Il faut reconnaître qu’ils savent y faire, même si
leur patrimoine n’a que trois siècles. Evidemment, le centre historique est
très clean, très léché et n’évite par les pièges du pittoresque avec les
inévitables boutiques de souvenirs. Mais les enseignes et les magasins sont de
très bon goût. Visite du Telsair Modern Art Museum, accueil charmant, bâtiment
très récent, splendide. Collections uniquement américaines, espace pédagogique
et expo temporaire consacrée à un jeune américaine, Mickalene Thomas (1971), auteur
de surprenants collages réalisés notamment lorsqu’elle fut en 2011 pensionnaire
de la maison d’artistes de Monet à Giverny.
En sortant,
quelques gouttes qui se transforment instantanément en un véritable déluge. Le
taximan avait raison. Et c’est pourquoi cette ville est si verte. Trouve refuge
dans l’entrée de l’académie des arts locale, très élégant édifice de style
colonial. L’averse dure une demi-heure, transformant les rues en torrents, ce
qui semble n’émouvoir personne au demeurant. Reste une heure avant le
rendez-vous, le temps de déguster un burger à la terrasse, sous abri, d’un beau
steak house. Accueil excellent, service prévenant, burger parfait accompagné de
tomates, rondelles d’oignons doux et french fries curieuses, comme enrobées
d’un mélange de sel et de paprika, mais en fin de compte excellentes. Retour au
cargo avec le même chauffeur, d’une ponctualité remarquable. Karren annonce un
changement de cap en raison du cyclone ; nous allons longer la côte jusque
Miami puis celles de la Dominique, Haiti et Cuba côté ouest pour nous protéger
des vents violents. Les prévisions, relayées paraît-il heure par heure par toutes
les télés du pays, penchent pour une remontée du cyclone vers NY, ce qui
devrait nous être favorable.
Vendredi 02-10/J14
La météo incite à
la prudence. Fort roulis, averses provenant du cyclone dont nous nous éloignons
en longeant la côte. Les Bahamas sont submergées. C’est derrière l’archipel que
nous allons nous glisser, à l’est de la Floride, de manière à être protégés.
Longue lecture, entrecoupée de visites à la passerelle, à nouveau accessible.
La carte météo confirme la remontée du cyclone vers le nord. Manifestement,
d’autres ont eu la même idée et se dirigent vers le couloir entre Bahamas et
Miami. La mer grossit peu à peu, le bateau oscille et balance en cadence.
Journée un peu morne. Soirée série BBC histoire d’espionnage de John Le Carré,
pas trop difficile à suivre.
Samedi 03-10/J15
Temps superbe
mais le ciel est parsemé de nuages d’averses. Nous sommes désormais engagés
dans l’étroit couloir qui sépare le continent des Bahamas. On
« roule à droite », en se suivant à distance respectable (2
miles minimum). Dans l’autre sens, une succession de cargos, tankers et
paquebots rutilants. L’air est chaud, on dépasse allègrement les 30°. Sur la
partie ombragée en revanche, la ventilation fonctionne au-delà de toutes les
espérances. Farniente couché sur le pont ! Fin de la lecture de « La
traque du mal », du journaliste anglais Guy Walters, assez cruel pour le
« chasseur de nazis » Simon Wiesenthal. En fin d’après-midi, nous
longeons Cuba, mais sans l’apercevoir. Le soir, l’horizon s’éclaire de coups de
tonnerre, images magnifiques. Repas léger en compagnie de Paul, désolé de
l’élimination de l’Angleterre à la Rugby World Cup ! Karan confirme qu’il
sera en notre compagnie jusque Melbourne. Soirée Le Carré.
Dimanche 04-10/J16
Côtes de Cuba en
vue, temps en tous points identique à la veille. Normalement, nous devrions
être à Kingston vers 20h. Sieste matinale réparatrice. Excellent repas indien à
midi ; le soir lasagne maison bien réussie (et sans la foutue béchamel
dont on inonde ces préparations chez nous !). Après-midi lecture. Pour la
première fois, un peu de lassitude.
Karen nous ayant communiqué une masse de films, je revois « Inglorious Basterds » de Tarantino avec grand amusement. Dehors, régime d’éclaircies et d’averses sous un vent de face terrible, qui n’atténue que partiellement la chaleur moite. Soirée entamée sur la passerelle où la vue sur la Jamaïque est grandiose. La montagne bleue porte bien son nom. Pas mal de trafic, l’accostage sera retardé d’au moins une heure en raison du trafic. A 21h, on s’arrête. Devant nous, cinq navires attendent leur tour pour accéder au port, il semble que l’on aura du retard.
Karen nous ayant communiqué une masse de films, je revois « Inglorious Basterds » de Tarantino avec grand amusement. Dehors, régime d’éclaircies et d’averses sous un vent de face terrible, qui n’atténue que partiellement la chaleur moite. Soirée entamée sur la passerelle où la vue sur la Jamaïque est grandiose. La montagne bleue porte bien son nom. Pas mal de trafic, l’accostage sera retardé d’au moins une heure en raison du trafic. A 21h, on s’arrête. Devant nous, cinq navires attendent leur tour pour accéder au port, il semble que l’on aura du retard.
Lundi 05-10/J17
2h30, sommes
toujours en rade et le resterons jusqu’à 6h00. Le site du port est grandiose,
en forme de demi-cercle adossé à la montagne. Lever du jour sublime. La raison
du retard – près de sept heures – tient aux inondations qui ont touché Kingston
dans l’après-midi de dimanche. On ne sait pas si on aura le temps de descendre,
car il faut attendre l’immigration, qui arrivera quand elle voudra, indique le
captain d’un air entendu ! Patience donc. Je rédige ces lignes quand
arrivent le captain, Kobal le 3e officier accompagnés d’une
fonctionnaire casquée chargée de vérifier les documents du bord. Un authentique
cerbère, aussi sympathique qu’une porte de prison. « Five
passengers », lit-elle sur le document. « No, three, two went away in
Savannah », répond le captain. Oulàh, le cerbère hausse le ton dans le
genre « je suis un petit chef, et je vais vous le prouver ». Le
captain reconnaît l’erreur, dans un calme olympien. L’amende peut aller, si je
comprends bien, jusque 50.000 USD, aboie le cerbère. Pour ne pas embarrasser
notre captain, je préfère m’éclipser. Triste premier contact avec la terre du
reggae et d’Usain Bolt. Heureusement, accueil charmant de l’immigration !
Chouette !
jeudi 1 octobre 2015
On continue...
Dimanche 27/J9
RAS sinon un
temps superbe, ciel d’azur, trafic en croissance. Les cartes marines,
auxquelles nous avons accès, sont passionnantes. Elles pullulent d’informations
allant de la présence possible de mines immergées aux zones interdites pour des
raisons écologiques, comme la protection des couloirs de migration des
baleines. Karren confirme la montée à bord à NY d’auditeurs de la compagnie
venant examiner tous les aspects relevant de la sécurité. Vers 10h, Paul me
signale la présence d’un aigle à l’extrémité de la grue de proue. L’animal est
superbe, tête blanche, corps foncé. Il daigne faire quelques passages devant
nous, révélant une envergure impressionnante. Un petit rapace virevolte autour
du navire, se pose de temps en temps sur un conteneur. Je suppose que si loin
des terres – la plus proche est à 200 km -, ces oiseaux vont à la pêche, ou
suivent les bateaux dans l’espoir d’y trouver pitance. Subitement, je constate
que le cargo est à l’arrêt. On teste sa capacité à redémarrer, selon le
« captain », toujours aussi imperturbable. Sieste apéritive,
interrompue par Alma, perdue dans les arcanes de la « laundry ». Le
voyage en cargo, c’est cela aussi, un petit univers à partager… « be
cool ».
Savoureux plat
indien, sorte de bahmi goreng bien relevé, dessert constitué d’excellents
raisins. Au moment où j’écris ces lignes, le ciel est exempt de nuages, la
température proche de 25°C.
Soirée cinéma,
choix by myself : « Les moissons du ciel », de Terence Malik,
avec un Richard Gere juvénile. Cinéaste rare (« La ligne rouge »),
qui filme la nature de manière prodigieuse et raconte une tragédie dans le
cadre de la crise des 1930s aux USA, quand des millions de gens quittèrent tout
pour travailler comme saisonniers dans les grandes plantations du Middle West.
Lundi 28-9/J10
Réveil alors que
nous passons sous le pont Verrazano qui précède l’arrivée à New York. Le
spectacle est fascinant, les tours de Manhattan se détachent sur l’horizon,
couronnées de nuages. Sur l’eau un ballet de ferries, de barges, de vedettes du
NYPD (New York Police Dept), le tout dans un silence presque absolu. A gauche,
la statue de la Liberté, à droite Brooklin où nous accostons, poussés par deux
remorqueurs pimpants. Une fois à quai, vient se ranger la station service, une
barge de près de 100m de long, qui gave l’Utrillo de carburant. On reçoit nos
papiers et passeports pour l’immigration. Sur la terre ferme pour la première
fois depuis dix jours, transfert à la douane où nous passons l’épreuve redoutée
(photo, empreintes digitales). Divine surprise, tout se passe très vite et de
manière courtoise avec l’agent préposé. Un shuttle nous amène à Manhattan, via
l’horrible tunnel qui passe sous East River. Passage furtif devant Ground Zero,
beaucoup de trafic jusqu’à la 42e rue et Time Square, submergé par
le monde. Alma, Paul et la ravissante épouse de Karren décidons ne nous
retrouver à 17 heures devant l’entrée de Mrs Tussaud. Après y avoir reçu la
bénédiction papale, nous nous séparons ! Je remonte la 7e
avenue, ce qui m’éloigne du bruit et de la foule. Après 50 minutes de marche,
ponctuée par de superbes immeubles, j’atteins la… 88e rue au
croisement de la 5e avenue, pour découvrir le Guggenheim. Bâtiment
fascinant. A l’entrée, on signale que la galerie hélicoïdale est fermée pour
cause de préparation d’une nouvelle exposition. Tarif réduit, comme l’offre
d’ailleurs : petite salle consacrée à Kandinsky et une autre aux Picasso,
Vuillard et autres Cézanne, peu de chose mais le dessus du panier. Quant à la
salle dédiée à l’architecte F.-L. Wright, c’est une vraie déception. En revanche,
l’accueil et la prévenance sont remarquables ! Certains musées de chez nous
feraient bien d’en prendre de la graine. Entre-temps, j’allais oublier, je me
suis offert un petit coupe-faim chez Dean et Delucca, temple local de la
gastronomie, sorte de Fauchon ou Harrods, où il n’est pas besoin d’être mort de
faim pour s’ouvrit l’appétit. A peine le bloc dépassé, je m’aperçois être parti
sans payer ! Retour sur mes pas, personne ne s’est aperçu de quoi que ce
soit, je paie et vais déguster le wrap Ceasar salad sur un banc le long de la 5e
avenue. Coût 13,53 USD quand même, mais qui n’altérera pas la digestion.
En revenant sur
mes pas, arrêt à « L’Albertine », librairie française installée dans
le superbe consulat de France au coin de la 79e rue. Petit havre de
paix ouvert voici un an, avec fauteuils chesterfield pour y bouquiner en toute
liberté. En revanche, pas de presse francophone, que je ne trouverai nulle part
m’affirme, dépitée, la libraire. Mieux vaut lire sur le Net…
Break et petit farniente
sur un banc de Central Parc, près du zoo. Un petit écureuil passe et repasse à
mes pieds pendant que je téléphone.
15hOO, lunch dans
un petit resto, antenne du « Pain quotidien ». Excellent accueil,
dont ferait bien de s’inspirer le personnel de la maison mère. Mise on-line de
mon blog, réception des messages, conversation avec mon voisin qui boit un
gazpacho accompagné d’un expresso ! Très courtois, me demande d’où je
viens et où je vais. Quand je lui révèle le voyage, ses yeux pétillent,
« what an exciting trip » !
Retour flâné vers
Time Square, univers traversé par des flots d’autochtones et e touristes de
toutes les couleurs, et de tous calibres, mode artificiel par excellence, encombré
de lumières, coups de klaxon, sifflets des « cops », musiciens de
trottoirs, enseignes gigantesque pour tous les goûts, surtout les plus mauvais.
Une face de NY, mais une face seulement, à voir et à fuir. Ce genre d’endroit
n’est d’ailleurs pas une exclusivité new yorkaise. Retrouve Paul qui a déambulé
dans Greenwich Village et Soho. Nos deux ladies nous rejoignent. Le 28e
taxi hélé s’arrête et va nous ramener Red Hook Terminal Brooklin. Je m’installe
devant, dans une véritable glacière. Comme les autres chauffeurs de taxi que
j’ai pu fréquenter à NY, le nôtre est bavard à souhait, Egyptien ayant émigré
il y a trente ans, devenu taximan après avoir exercé une foule de métiers
improbables. « my last job, you know ! » Nous descendons le long
de l’Hudson sous un soleil magnifique. Les quais sont bordés par les anciens
« piers » reconvertis en terrains de sport. On emprunte le pont de
Brooklin d’où on aperçoit notre Utrillo. Retour à bord, fourbu mais heureux. Le
captain nous accueille et nous remercie pour notre ponctualité. En annonçant
que le départ se fera à 19H. Je resterai sur le pont pour admirer Manhattan à
la nuit tombante.
Mardi 29-9/J11
Retour à la
normale après cette escale à NY. Temps superbe, température qui grimpe, l’air
est chaud (26°). Cap plein sud vers Savannah que nous devrions atteindre jeudi
en début de matinée. La présence à bord de l’audit nous interdit l’accès à la
passerelle. Karren confirme que c’est temporaire et que les choses reprendront
leur cours dès jeudi. Son épouse nous quittera aussi, back to India. Matinée
calme. Excellent repas de midi, poulet rôti admirablement cuit et relevé. PM,
le temps change tout-à-coup : nuages noirs, averses sur l’horizon, mer qui
grossit et bouscule le navire. Il commence à faire « doef », chaud et
humide pour ceux qui ignorent le sens de ce mot, perle de l’idiome bruxellois.
Je prépare les réponses aux messages relevés à NY : beaucoup
d’encouragements, de petits mots touchants ou humoristiques qui me rappellent
ceux écrits quelques jours par mes collègues et amis du « Lion » (ils
se reconnaîtront) sur un gilet de sauvetage coiffant une caisse de vins
étiquetés « Oscar ». Soirée calme entre musique et lecture tandis que
dehors averses et orages violents se succèdent.
Mercredi 30-9/J12
En me baladant
sur le pont, j’observe une chose qui m’avait échappé : c’est comme si le
ciel se déplaçait. L’explication réside évidemment dans les mouvements séquentiels
du bateau. Ainsi, les étoiles vont et viennent, tandis qu’un gros cumulus en
forme d’ours en peluche se dresse et s’assied derrière la proue comme s’il
jouait à cache-cache. Le jour se lève sur une mer calme, presque sans vagues.
On croise un cargo et quelques petits bateaux de pêche. Vers midi, la
température grimpe vers les 30°, vent chaud, mer qui ondule. Sieste après repas
pas terrible. Heureusement, notre bon Vick nous offre quantité de fruits
excellents, oranges, pommes, prunes, raisins. Il fait de plus en plus chaud et
chacun se réfugie dans sa cabine réfrigérée. Je ressors de mon igloo après
avoir visionné quelques extraits de « Some Like It Hot », notamment
l’irruption nocturne de Marylin dans le compartiment couchettes de Daphné,
alias Jack Lemmon, et la party qui s’en suit.
17h, la preuve
est faite et Petzi n’avait pas menti : les poissons volants existent. Le
spectacle est étonnant : on voit émerger des petites flèches argentées et
bleues volant en rase-vagues en agitant leurs ailes (ou nageoires, faudra que
je creuse la question) sur des distances estimées à cent mètres. Magnifique !
Somptueux aussi que le coucher du soleil dans un ciel tourmenté, semé d’averses
à l’horizon, encombré de nuages blancs et gris foncé projetant une ombre noire
sur l’océan. Nous sommes plusieurs à rester de longues minutes à admirer. En
réalité, il n’y a pas un ciel mais autant qu’il y a de secondes. La seule constante,
c’est le changement, perpétuel, sans cesse réinventé. C’est une révélation et
une joie, je l’avoue, un peu égoïste. Je prends donc des photos pour partager
avec qui voudra une part de ces émotions.
Nouvelles du
jour. L’audit déguerpit à Savannah ; à Savannah, cité historique du sud,
nous ne pourrons rester que jusque 14h. Je mettrai mon blog à jour dans un
resto. J’ai une folle envie de viande rouge, car notre cook cuit la bidoche
longtemps ; je crois que je vais craquer pour un burger, avec french fries
of course. Etant à court de vêtements légers, petit shopping (t-shirts, slips –
hé oui ! – et pastilles contre la toux générée par le conditionnement
d’air. Dernière info : on repartira à 17h pour affronter un cyclone
tropical. Cela va bouger annonce Karren, tangage garanti, vents forts, grains
en cascade. Bref du sport, qui semble inquiéter Alma, pas Paul ou alors
dissimule-t-il sa crainte derrière son flegme british. Quant à moi, pas d’anxiété.
On verra…
lundi 28 septembre 2015
Au jour le jour
Ces pages sont la chronique de ma vie à bord de
l’Utrillo. Je parle évidemment de moi, de mes impressions, de mes lectures, ce
qui paraîtra parfois égocentrique, parfois barbant, peut-être pédant. J’espère cependant
que vous y trouverez en y picorant quelque bonheur ou inspiration pour votre
propre voyage, quel qu’il soit.
Jeudi 17-9 / J1
17h30, l’agence
annonce un départ avancé au 18 au lieu du 19 ! Vent de panique, faut séance
tenante terminer les bagages, fermer toutes les fenêtres, payer les lois
sociales, merveille de l’Etat providence à la belge, trouver un lift pour être
au Havre vers 17h, saluer la gentille voisine allant gaillardement sur ses 90
ans, diffuser les derniers messages, vérifier pour la dixième fois que
passeport, certificat médical, carte de vaccination et billet d’embarquement
sont bien dans le « baise-en-ville ».
Vendredi 18-9 /J0
11h, départ de
Genappe avec Thomas (mon fils) et Cécile sa maman pour Le Havre. Arrivée 16h30,
parking devant l’hôtel Nomad. Le Havre, chef d’œuvre de l’architecte Perret, inscrit
au Patrimoine de l’Unesco, avec ses larges avenues bordées d’immeubles tout en
horizontalité (on est face à l’océan) rappelant le style paquebot (bis
repetita). Appel au taxi agréé par le TDF, Terminal of course de France.
« Vous êtes capitaine ? » demande le chauffeur ! Avec ma
barbe, j’ai sans doute des airs du capitaine Findus. Il nous dépose au pied de
l’Utrillo et viendra rechercher Cécile et Thomas plus tard. Gigantisme des
grues qui transbordent, en une véritable chorégraphie rythmée par les bruits de
câbles et d’impacts, des centaines de conteneurs. Un petit jeu qui durera toute
la nuit. « Are you the new passenger ? » lance un jeune marin au
sourire éclatant. Il est Indien, comme tout l’équipage, d’ailleurs. Extrême
gentillesse de tous ceux qu’on croise. Je demande si mes accompagnants peuvent
monter à bord. « No problem ». Visite de ma cabine, petite avec grand
lit et cabinet de toilette. Pas de luxe, sinon celui de pouvoir se créer un
petit univers intime, qui sera en quelque sorte « mon voyage autour de ma
chambre ». On passe par le dining-room, la salle de fitness, la piscine
pas olympique mais remplie à la demande ( !), les frigos, la salle des
machines pour finir sur la passerelle, le clou de la visite ! Emerveillement,
avant la séparation, dont je tairai le récit.
Installation dans
la cabine, repas simple, indien, bon sans être gastronomique, vin californien typique
« us », qui ferait s’enfuir mon ami Alain Pardoms, acheteur des
nectars bachiques pour Delhaize. Fais connaissance de deux Anglais, charmants,
voyageant seuls. Elle institutrice à la retraite, alerte septuagénaire, photographe
passionnée, bénévole dans un hôpital pour… éléphants au Sri Lanka, curieuse du
nouvellement élu président du Labour réputé gauchiste sincère et intransigeant,
antithèse du cynique « Blair le menteur » (B-liar). Lui, mid-60s, chercheur
en sciences, grand échalas aux petits yeux myopes, qui descendra à Sydney où
l’attendra son épouse. Tous deux s’expriment dans un anglais châtié, glissant
et ouaté, et sont des inconditionnels of her gracious Majesty mais contrairement
à elle ne parlent pas un traître mot de la langue de Voltaire (ou ne consentent
pas à le faire, mon anglais leur suffisant apparemment).
L’anglais sera
donc ma langue véhiculaire, pas toujours facile à comprendre parlé par des
Indiens. Mais j’ai mes chers livres. Je relis avant de sombrer dans le sommeil
les premières lignes de « Chemin faisant » de Jacques Lacarrière,
chef d’œuvre de la littérature des marcheurs impénitents dont j’étais avant que
mon dos ne s’en mêle.
Samedi 19-9/J1
Dormi comme un
bébé. 6h, le navire s’ébranle, poussé par un vaillant remorqueur (engins trapus
qui contrairement à leur nom, poussent autant qu’ils tirent). Cette masse
avance calmement portée par la puissance prométhéenne qui habite ses entrailles.
Ballade jusqu’à
la passerelle. Le cargo suit le chenal vers la haute mer. Le pilote du Havre
quitte le navire via une vedette sur laquelle il saute allègrement. Petit
déjeuner sobre, nappe ayant un peu vécu, jus de fruit, fruit, toasts,
confitures. Quant aux œufs brouillés, ils me font penser au « Parti d’en
rire », de Dac et Blanche, dont le programme politique chanté sur l’air du
Boléro de Ravel prônait la réconciliation ! Ballade bis, accueil sur la
passerelle où on me propose un café, paraît-il, que je m’autorise à améliorer.
Explications sur tout l’appareillage, les cartes, la route tracée au compas, le
tout avec kindness, dans un calme olympien. Le maître-mot est la sécurité, plus
que la vitesse même si on comprend vite que la profitabilité, ce néologisme cher
à la pensée libérale unique, est la vraie finalité. J’écris ces premières
lignes dans le meeting-room, face aux hublots ouvrant vers la proue et la
succession de « petites boîtes » que sont les conteneurs. La voie
passe au large du Cotentin, dont on aperçoit Cherbourg, avant de virer plein
ouest vers le grand large.
M’envahit une
torpeur. Oreille interne qui opère un « reset » ? Engourdissement dû
au temps qui s’écoule sans pression aucune ? Premiers signes de la décompression
qui s’amorce ? Couché une vingtaine de minutes à même le pont, je sens,
comme Bardot sur son Harley-Davidson (mais sans les sous-entendus gainsbourgiens),
« les trépidations de ma machine ». Car ce cargo, c’est un peu ma
machine, et cette machine ronfle sans arrêt, ahanant comme des milliers de
chevaux qui semblent ne jamais ployer sous la charge. Bruit implacable,
lancinant, angoissant. Mais aussi rassurant car il témoigne d’une énergie qui
m’est partiellement dédiée. Même s’il me fatigue, j’en ferai mon principal
allié.
Ce midi, côte de
porc, courgettes et patates mis en œuvre par le chef indien, le cook. Le
sanskrit « cuisinier » signifierait « assembleur
d’épices ». Cela se vérifie. Le tout-venant prend des saveurs subtiles, en
un parfait équilibre de piquant (on a pitié de nos tuyaux peu rompus aux feux exotiques),
de douceur, le tout emballé de couleurs chaudes. Le vin semble même avoir – un
peu - gagné en qualité, où serait-ce un signe d’une certaine routine
s’installant. Ma vie antérieure de rongeur me fait demander à Vik, le steward,
« some lettuce with carrots and tomatos » pour le soir.
PM calme, entre
sieste et lecture, entrecoupées de visite à la passerelle. Je serai incollable
sur la question maritime d’ici trois mois. L’officier navigant me signale que
normalement on va « straight on », c’est-à-dire
« rechtdoor » ou tout droit, jusque New York mais qu’on tourne
parfois quand il faut, lisez un coup de grain. Cela me fait penser à un passage
de ce « Chemin faisant » que je viens de relire (page 42, Jacques
Lacarrière, Chemin faisant. Mille kilomètres à pied à travers la France,
Payot) : recommandé pour savoir ce que recouvre réellement ce « tout
droit ». Un texte plein d’allant, humoristique, dans une langue admirable
et qui sera mon livre de chevet.
Par ailleurs
chargement des premières vidéos (merci Cécile). Et embrouillaminis de fils et
câbles de toutes sortes.
Premiers dauphins
aperçus vers 17h30, qui batifolent dans une mer d’huile loin du chaos du monde.
Perdu dans mes
pensées, j’en oublie le repas et suis gentiment rappelé à l’ordre par Alma, la
passagère anglaise. J’arrive un peu confus au mess. « No problem »
m’assure Vicky qui me sert une avenante salade de crudités accompagnant une
barbaque cuite et recuite mais curieusement agréable en dépit d’une consistance
de type semelle.
Dimanche 20-9/J2
Nuit chaotique,
réveil 2h00, lecture, assoupissement. 6h30, montée à la passerelle. Pas de trafic,
« that’s Atlantic ». Nous voguons à environ 30 à l’heure, sur une mer
qui se forme sous le vent de face en train de forcir. L’avant du cargo monte et
descend doucement mais lundi et mardi s’annoncent « a bit rocky ».
Conversation très amicale et très instructive avec le « chief
officer », 29 ans, homme superbe coiffé d’un turban, originaire des
contreforts de l’Himalaya, attiré par la mer très jeune, formé à Dubai,
Londres, Nouvelle-Zélande en un cursus de neuf ans ! A 10 h, rendez-vous
deck A pour rejoindre la proue du navire. Cette zone est interdite aux
passagers non accompagnés par un officier. Petit déjeuner british.
L’estomac lesté,
nous partons casqués en compagnie du captain et du « chief » vers
l’avant. Là, on se rend compte que ça bouge ferme, surtout dans la coursive de
120 mètres qui court sous les conteneurs. A l’avant, on est aux premières loges
pour apprécier des creux qui vont s’amplifiant. Je comprends la fascination des
marins pour un élément dionysiaque qui ensorcelle. Parfois, j’ai envie de
sauter par dessus le bastingage pour me joindre à cette sorte de bacchanale.
De retour dans ma
cabine, je m’effondre sur le lit pour une sieste apéritive. A table, l’Inde
toujours, savoureuse, au piquant adouci par un yaourt aux légumes, aigrelet
mais rafraîchissant. Conversation impromptue avec Alma au sujet de la fin de
vie (« dignity »). Sieste bercée jusque 16h30 ! Première
tentative d’envoi de mail via le pc du bord. Clavier eng/chinese pas évident.
Repas du soir prosaïque :
pizza pas très cuite, bonne salade heureusement, renonce au dessert mais je
pillerai la boîte à biscuits (excellent crackers). Passage sur la passerelle
pour admirer le mouvement de balancier du bateau. Petite bière avant dodo,
quelques pages de « Chemin faisant » qui me font sourire, notamment
la description de ce facteur dans un bistrot de province, fixant intensément
son ballon de rouge comme s’il pensait y décrypter le mystère du monde.
Lundi 21-9/J3
Nuit ponctuée de
réveils et d’endormissements, bercée par le mouvement du navire. Quand sa
compression est à son maximum, c’est-à-dire quand il plonge après le passage
des vagues, le navire émet comme une plainte animale un peu lugubre, sourde, toute
en fréquences basses, comme émanant de quelque monstre antédiluvien.
Le navire
justement. 200 mètres de long, 31 de large. Construit en 1999 dans un chantier
chinois ; moteur coréen, pavillon chypriote, affrété par la CMA/CGM,
héritière des mythiques « Messageries Maritimes » évoquant la
Cochinchine et le Tonkin, et « Cie Transatlantique » qui exploita,
pour son malheur, le « France ». La partie habitée se répartit sur 7
étages, à gravir ou descendre par des escaliers ou un ascenseur. Les chambres
des passagers sont au niveau E, sous la passerelle. Capacité de chargement :
2262 conteneurs. Tous contenus : dans ceux réfrigérés, viande, poisson,
fruits, jus, vin, bière, eaux ; dans les autres, vêtements, meubles,
pianos à queue, tondeuses à gazon, batteries de cuisine, bibelots et menu
fretin. Le chargement est fonction des escales et de la stabilité du navire.
Dans les soutes, 6 étages, les conteneurs les plus lourds à fond de cale, les
plus légers au-dessus. Sur le pont, idem. La répartition est planifiée à terre
et approuvée par le chef officier qui doit s’assurer d’une disposition
contribuant à la stabilité du navire. Celle-ci est complétée par la gestion de
l’eau de mer dans les ballasts. La propulsion est assurée par un moteur diesel
flirtant avec les 28.000 chevaux, actionnant l’arbre de l’hélice tournant jusqu’à
93 tours/minute. La consommation est de 4000 litres/jour. Une paille !
Pourtant, c’est en économisant sur le carburant que l’impact économique est le
plus fort, et c’est pour cette raison qu’un porte-conteneur est plutôt tortue
que lièvre.
J’écris ces
lignes dans le « guests-room » pendant que s’active dans ma cabine la
« fée du logis. »
Coquin de
sort ! Egaré mes lunettes magiques, ou envolées durant une rafale en
montant à la passerelle. Faut dire que ça soufflait un maximum. Le bateau est
engagé sur une inlassable ondulation, la poupe plonge, se soulève, replonge.
L’intensité est variable. Parfois, la violence de la houle provoque des chocs
et des craquements.
Sieste apéritive
suivie d’un « indian stew » excellent avec pommes de terre sautées et
brocoli simplement blanchi. Fruits au dessert.
Retour en cabine.
Lecture, sieste. Visite de la « library ». Livres anglais et
français, sans doute laissés en cadeau par les passagers précédents. Classement
assez aléatoire, dans la catégorie « policiers », on trouve… la
Bible ! Une heure à la passerelle et grande conversation avec le
« chief officer » dont j’ai déjà parlé et prénommé Karren. Je
comprends que sa vie est orientée vers l’argent. Il va gagner en quelques
années de quoi vivre très confortablement dans son pays ! Il me parle de
sa crainte de voir l’Islam noyer les siens sous une démographie galopante mais
croit que dans le monde, le premier pays « islamisé » sera la France.
Repas simple – j’ai obtenu les crudités que je voulais. Passage par la boîte
mail du bord. Soirée passée en regardant « MASH », pantalonnade militaro-médico-érotique
qui n’a pas pris une ride, avec un Donald Sutherland grandiose.
Mardi 22-9/J4
Nuit calme en
dépit du navire qui tangue un peu. Sur la passerelle à 6h30 juste à temps pour
voir une dizaine de dauphins jouer à côté du bateau. Splendide, une perfection
de la Création. J’entame la (re)lecture de l’histoire du Canard enchaîné.
10h30, visite de la salle des machines guidée par Karren. Bruit infernal et
chaleur lourde dans un « air » alourdi par les relents d’huile et de
fuel. Accueil dans la salle de contrôle. Le moteur est un Hyundai coréen, 7
cylindres en ligne proposant une puissance de plus de 28.000 cv. C’est le seul
équipement qui n’a pas de back-up. Quatre ingénieurs le dorlotent et sont
reliés par téléphone à une assistance à terre. Le moteur peut continuer sa
marche même si on doit mettre un des cylindres hors service. La salle des
machines va depuis la ligne de flottaison jusqu’à l’arbre actionnant l’hélice
intégralement en fonte. Une hauteur équivalente à six conteneurs. En cas
d’entrée d’eau dans le navire, des cloisons étanches isolent le compartiment
inondé. L’idéal, un seul dans ce cas. Plus embêtant quand la salle des machines
et un compartiment sont inondés. La solution est alors d’attendre un remorqueur
en faisant quelques belotes.
A peine revenus
sur le pont, nous sommes accueillis par une douzaine de dauphins, survolés par
autant d’oiseau virevoltant au ras des vagues.
Repas simple.
Sieste et lecture, visite à la passerelle puis sur le pont arrière où on sent
la vitesse du bateau. La mer se calme. Vers 16h, passage d’un cargo. 18h repas,
20 heures projection d’un Hitchcock dans le « meeting room », j’ai
oublié le titre de ce film évidemment très vieilli mené par un James Stewart
qui semble peu concerné.
Je me rends
compte que s’installent une routine et des codes qui créent un climat apaisant.
Aucun ennui jusqu’à présent.
Mercredi 23-9/J5
Réveil 4h, bien
dormi. Ballade sur les ponts avec ma lampe frontale. Il pleut car nous quittons
paraît-il le front chaud pour entrer dans le front froid. La mer est agitée, le
vent monte en puissance (4 beauforts) et devrait culminer jeudi soir avec 6
bfts. Lecture ce matin, remise en ordre de ma cellule monastique, qui dispose
d’un frigo. Il y a un petit supermarché à bord, de l’ordre de 2m2 où on trouve
autant du beauty care que de nourriture solide (chips, chocolat Cadbury,
biscuits) et liquide dont l’offre va du Pepsi au Cognac en passant par de la
bière hollandaise (devinez la marque) et australienne que je goûterai ce soir.
Dehors, ciel bas, mer noire, rafales et drache (sic). J’ai continué ma lecture
de l’histoire du Canard enchaîné, et pris un réel plaisir avec celles,
nombreuses, consacrées aux années « mongénéral », néologisme qui
traduisait le caractère autoritaire de celui à qui le journal consacra une
rubrique à la Saint-Simon : « La Cour ». On y voyait de Gaulle
martyriser son premier ministre Michel Debré, baptisé « l’amer Michel ».
Madame de Gaulle avait hérité, en raison de son bon sens réputé, du surnom non
dénué d’affection de « Madame de Maintenant ». Les pages sur Giscard
sont cruelles, en particulier celles dénonçant sa morgue aristocratique, la
particule achetée par son père et la démagogie des invitations impromptues à
déjeuner chez des Français. L’affaire des diamants de Bokassa, qui lui coûta la
présidence, est relatée de manière cocasse ; on y lit que l’avocat de
Giscard se nommait Me… Boccara !
Lunch darne de
saumon grillé, pas mal, avec sauce… à l’orange. Surprenant et concluant. Alma
ayant souhaité beaucoup de « vegetables », se voit exaucée au-delà de
ses plus folles espérances ; carottes et courgettes délicieuses, cuites à
point et ravivées au beurre, un vrai délice. PM sieste courte, alors que le
bateau secoue parfois rudement. Lu dans la « Courrier international »
un papier sur le repli des nationalistes catalans, dont « le seul projet
est de précipiter la Catalogne fièrement vers l’insignifiance ».
14h30, montée à
la passerelle, le temps s’éclaircit ! Nous avons passé le front froid, à
présent vent dans le dos, ce qui fait osciller le bateau de gauche à droite. La
mer change de couleur ; de noir de Chine elle devient bleue, malgré la
pluie qui redouble. Karren prévient que cela va secouer pendant deux jours.
Passe deux heures sur la passerelle à remettre de l’ordre dans mon Mac.
Excellent chili con carne. A 20h15, passage d’un supertanker à babord (je
commence à utiliser le langage ad hoc, mille sabords !). On aperçoit ses
feux puis sa silhouette entière. La mer grossit. En écrivant ces lignes, je
m’assied au bord du lit de telle façon à répondre aux mouvements en poussant
sur les jambes ou en soulageant la pression. A table, c’est impossible. Je vais
essayer de dormir couché ou assis, en me calant dans les oreillers !
Bigre, ça bouge…
Jeudi 24-9/J6
Pour ce qui est
d’avoir dormi, nuit blanche jusque 5h00 du matin ! Trop de café et de vin
blanc. Mais pas dénuée d’intérêt. Roulis incessant qui vous bascule d’un côté à
l’autre du lit ; vacarme incessant ; rugissements du monstre de la
cale ; rideau de la douche qui fait le va-et-vient ; livres qui font
le plongeon, etc. Je suis réveillé par le soleil à 6h00. Dehors, le spectacle
est grandiose : mer noir et argent, le ciel s’est entrouvert pour laisser
tomber les rayons du soleil tels une pluie dorée. Matinée paresse, sieste.
Repas mixte indien et européen, parfaitement cuit. Fruits à volonté. Hourrah,
Paul, le passager anglais a retrouvé mes lunettes sur le pont. « God
blessed him ». Comme je suis crevé, je dors deux heures pour me réveiller
sur une mer calme. Le bateau tangue inlassablement, comme désabusé. Nous sommes
au large de Terre-Neuve (sud-est) dont l’approche est redoutée en raison du
gigantesque banc de sable qui l’entoure, exception faite du chenal qui mène au
Saint-Laurent. Cela évoque les « terreneuvas » qui partaient de
France pêcher la morue. Entamé la lecture d’un livre de Charles Enderlin,
ancien correspondant de France 2 en Israël, « Par le feu et par le
sang », consacré à l’histoire de l’indépendance du pays. Histoire terrible
dont on se demande comment elle se terminera. Je lis ce livre sur une
« liseuse » Kobo, pas mal, l’avantage c’est la légèreté, la
flexibilité ; l’inconvénient c’est l’absence de la sensualité du livre papier.
Bref, du pour et un peu de contre.
Repas du soir
salade. Séance de cinéma « Roman Holidays », avec un craquante Audrey
Hepburn, un Gregory Peck au sommet de sa séduction et un Eddie Albert qui
entrera dans le mythe télévisuel bien des années plus tard avec « Green
Acres », « Les arpents verts » dans la version française.
Vendredi 25-9/J 7
Bonne nuit. Le
jour se lève en un spectacle magnifique. 6h30 sur la passerelle. Mer calme,
roulis. T° 20C. Ce soir, annonce Karren, on fait la fête avec tout l’équipage
dans le meeting room ! Journée un peu morose, un petit mal de mer
pernicieux qui fatigue et vous installe dans une sorte d’ouate. Grande sieste
(2 heures). A 19h00, au mess des officiers, party mensuelle. Le
« cook » et l’épouse de Karren ont mitonné une dizaine de plats très
savoureux. Grande distinction aux beignets de légumes, aux
« samosa », chaussons de pâte fourrés de légumes, cuits aux four, et à
une salade de pois chiches très délicate. Bière, vin, soft et même whisky. Tout
le monde s’est mis sur son 31. Après le repas, grand jeu de course entre 6
bateaux, sorte de jeu de l’oie maritime. Mises 2 USD par bateau. L’ambiance
fiévreuse du début cède le pas à une véritable catharsis. Cris, rires,
invectives, moqueries fusent dans une ou des langues parfaitement
incompréhensibles. Finalement, le n°2 remporte la course. Pas de gain pour moi
mais un bon moment passé avec un équipage très jeune, le plus âgé doit faire
dans la petite quarantaine. Beaucoup sont encore célibataires ; pour les
autres, l’absence de leur épouse et de leurs enfants doit peser lourd. On le
perçoit parfois au détour d’un regard, d’une conversation impromptue.
Passage par la
passerelle, plongée dans le noir absolu hormis les écrans, avant de rejoindre
mes plumes.
Samedi 26/J 8
Lever 6h00. Cette
fois on approche de la terre car le trafic s’intensifie. On est suivi par un
énorme porte-conteneurs qui se rend comme nous à NY. Lever de soleil
magnifique. Alma sur le pont me demande « what about the clock
tonight ? ». Manifestement, elle est un peu perdue avec les
changements d’heure. Nous sommes à présent à 6h00 de Bruxelles, 5 depuis
Londres. Thé indien sur la passerelle : thé noir, cardamome, gingembre,
sucre et lait. Excellent pour l’estomac. Lecture d’Enderlin, ou comment Israël
s’est construit sur une violence inouïe entre les Britanniques, qui avaient
« hérité » de la Palestine en 1919, et les mouvements juifs. Le
« terrorisme palestinien » actuel y a certainement trouvé une source
d’inspiration.
Karren me livre
sur son pc tous les secrets de la gestion des conteneurs. Impressionnant.
Il explique aussi
l’importance vitale de la répartition du poids du chargement et du rôle des
ballasts sur la structure du navire. Une erreur d’estimation, surtout lors
d’une tempête, peut briser la coque en deux.
Repas de fish
& chips à l’indienne, excellent, modérément piquant. Sieste (2 heures plein
pot) puis ballade sur le navire. Le ciel est étonnant, légèrement voilé et
comme laiteux, parcouru de nuages sagement alignés derrière lesquels joue le
soleil, coiffant une mer d’encre. Le navire file à belle allure, sans presque
plus de roulis. Le 2nd officier m’annonce que l’escale de NY sera plus
courte, qu’il n’est pas certain de pouvoir descendre car la compagnie a mandaté
un audit ! Pour les passagers, « no trouble ». Arrivée à 8h,
formalités de l’immigration (chouette, j’adore), départ à 21h. Taxi jusqu’au
Guggenheim avant un repas dans un des restaurants installé sur l’ancien Pier en
bois, au bord d’East River. J’y mettrai mon blog on-line.
En attendant,
écoute de la 4e de Brahms par C. Kleiber. Ecouter cette merveille en
plein milieu de l’océan, doucement bercé, quel bonheur.
Après le repas
végétarien, séance cinéma avec « L’honneur des Prizzis », comédie
mafia avec un Nicholson pas encore trop cabot, et une superbe Kathleen Turner,
sous la direction de John Huston.
Samedi 27/J9
RAS sinon un
temps superbe, ciel d’azur, trafic en croissance. Les cartes marines,
auxquelles nous avons accès, sont passionnantes. Elles pullulent d’informations
allant de la présence possible de mines immergées aux zones interdites pour des
raisons écologiques, comme la protection des couloirs de migration des baleines.
Karren confirme la montée à bord à NY d’auditeurs de la compagnie venant
examiner tous les aspects relevant de la sécurité. Vers 10h, Paul me signale la
présence d’un aigle à l’extrémité de la grue de proue. L’animal est superbe,
tête blanche, corps foncé. Il daigne faire quelques passages devant nous,
révélant une envergure impressionnante. Un petit rapace virevolte autour du
navire, se pose de temps en temps sur un conteneur. Je suppose que si loin des
terres – la plus proche est à 200 km -, ces oiseaux vont à la pêche, ou suivent
les bateaux dans l’espoir d’y trouver pitance. Subitement, je constate que le
cargo est à l’arrêt. On teste sa capacité à redémarrer, selon le
« captain », toujours aussi imperturbable. Sieste apéritive,
interrompue par Alma, perdue dans les arcanes de la « laundry ». Le
voyage en cargo, c’est cela aussi, un petit univers à partager… « be
cool ».
Savoureux plat
indien, sorte de bahmi goreng bien relevé, dessert constitué d’excellents
raisins. Au moment où j’écris ces lignes, le ciel est exempt de nuages, la
température proche de 25°C.
jeudi 9 avril 2015
Unité de lieu, pas forcément de temps. La même école à près d'un siècle de distance, l'école bien nommée du "petit chemin" située en bordure des champs à Loupoigne en Belgique. Reçu d'Elisabeth Van Haelen que je remercie chaleureusement, ce tirage vénérable montre la classe des garçons en novembre 1918. Deux cartels : "Hommage de reconnaissance aux Etats-Unis", allusion au rôle décisif de cet Etat entré en guerre aux côtés des Alliés en 1917 et qui contribua auparavant en tant que nation neutre au ravitaillement de la population belge, et "Ecole catholique de Loupoigne". Les portraits sont ceux des souverains belges, Albert Ier, le "roi chevalier" comme le nommèrent les Anglais, et son épouse la reine Elisabeth, personnalité non conformiste et patriote engagée en dépit de ses origines bavaroises. A droite, l'instituteur Firmin Bach qui venait, paraît-il, tous les jours de Nivelles à pied à travers champs, soit environ huit km, pour faire la classe. Personnage autoritaire et intransigeant, dont la fierté était la réussite des gamins venant à l'école en sabots.
Dans la même cour de récréation, cette fois en 2012. La classe est mixte. Notez la disposition "unisexe" des enfants, deux rangées de garçons pour une rangée de demoiselles avec, de part et d'autre, mesdames Nancy (à gauche, la directrice) et Amélie (à droite, la titulaire). Le troisième gamin à partir de la gauche à l'arrière-plan, et le seul à ne pas regarder l'objectif est Thomas, arrière-arrière petit fils de Firmin Bach, et fils du créateur de ce blog.
lundi 6 avril 2015
Dakota du Sud? Texas? Non, bien plus loin, bien plus au Sud, sous les latitudes australes. En Nouvelle-Zélande, à Aponga-Kamo, vers 1895. Un père de famille nombreuse convainc son épouse de quitter la Belgique pour mettre le cap vers des terres vierges où tout serait plus gratifiant.
En plus de ses sept enfants âgés de 3 à 12 ans, la huitième naîtra à destination, Charles Hauptmann, régisseur des princes de Croy au Roeulx en Hainaut, embarque dans l'aventure Georges, un des quatre enfants de son frère médecin, décédé du charbon comme son épouse, et quelques aidants triés sur le volet. Tous resteront en Nouvelle-Zélande jusqu'en 1897, pour finalement revenir et reprendre une régie, cette fois dans le cadre toujours enchanteur de Franc-Waret dans le Namurois.
Les descendants ont conservé le journal de voyage rédigé par un des enfants, Max, qui livre un récit plein de vie, parsemé de traits d'humour et témoignant d'une époque où la vitesse n'était pas encore devenue le dictateur de nos vies. Vous le trouverez prochainement sur ce blog…
Prennent la pause devant la maison familiale à Aponga-Kamo : Max Hauptmann (1), un aidant (2), Mary Hauptmann, née en Nouvelle-Zélande (3) dans les bras de sa maman Céline Faucon (4), Marcel (5), Claire (6), Gustave (7), Albert (8), Angèle (9), Joseph (10), Charles (11) et Georges Hauptmann (12) qui prendra pour épouse sa cousine germaine Angèle.
Dans le cheminement tortueux de la vie, des choix s'imposent, libres, consentis ou imposés. Dans mon cas, c'est un peu de tout cela, rien de moins, mais beaucoup plus. A la mi-août, je prends le large pour me déconnecter comme passager d'un énorme porte-conteneurs de la CGM. Direction le grand ouest, depuis Le Havre pour la traversée de l'Atlantique, New-York, la côte est avec escale à Savannah, le golfe du Mexique, la Jamaïque, Panama puis le long cours vers Tahiti, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Retour par le même chemin mais avec bien des images en plus.
Pourquoi la Nouvelle-Zélande comme point ultime? Je vous le dirai prochainement...
Inscription à :
Articles (Atom)