lundi 5 octobre 2015

On continue encore


Jeudi 01-10/J13
Réveillé à 3h00, j’assiste aux manœuvres d’accostage depuis la passerelle. Salué par le pilote et le captain qui, souriant mais fermement, me prie de me déplacer pour ne pas les gêner. Nous passons devant des cargos – certains bien plus imposants que l’Utrillo – avant de faire demi-tour, au milieu du fleuve, sous la poussée plein pot de deux remorqueurs. L’opération aura pris moins de cinq minutes. Une fois à quai, commence le ballet des portiques, réglé comme du papier à musique. On nous remet nos passeports et un taxi nous amène à Savannah. Chauffeur noir très sympa. A la question d’Alma, « combien de temps dure la saison des pluies », il répond… « twelve months, ma’am ». On en reparlera ! Aime vivre ici, au calme. Il y a du boulot facile à décrocher si on veut travailler. A la question de Paul, comment est la vie ici, réponse… « slow ! If NYC is on level 0, Savannah is on level -3 ». On passe par des quartiers pauvres, manifestement habités par des noirs, certaines maisons semblent tout droit sorties de « La Case de l’Oncle Tom ». Le centre historique est quant à lui envahi de touristes, dont nous sommes évidemment. Le must, c’est le tour de ville en trolleys attelés ! Je me contenterai de parcourir les rues et une partie des splendides squares ombragés, généreux en bancs publics. Très belles maisons et bâtiments civils anciens antérieurs à la Guerre de Sécession. La ville fut épargnée par les bombardements lors de l’offensive décisive contre les confédérés. C’est ici que naquit, dans les années 1960, une prise de conscience citoyenne pour la préservation du patrimoine. Il faut reconnaître qu’ils savent y faire, même si leur patrimoine n’a que trois siècles. Evidemment, le centre historique est très clean, très léché et n’évite par les pièges du pittoresque avec les inévitables boutiques de souvenirs. Mais les enseignes et les magasins sont de très bon goût. Visite du Telsair Modern Art Museum, accueil charmant, bâtiment très récent, splendide. Collections uniquement américaines, espace pédagogique et expo temporaire consacrée à un jeune américaine, Mickalene Thomas (1971), auteur de surprenants collages réalisés notamment lorsqu’elle fut en 2011 pensionnaire de la maison d’artistes de Monet à Giverny.
En sortant, quelques gouttes qui se transforment instantanément en un véritable déluge. Le taximan avait raison. Et c’est pourquoi cette ville est si verte. Trouve refuge dans l’entrée de l’académie des arts locale, très élégant édifice de style colonial. L’averse dure une demi-heure, transformant les rues en torrents, ce qui semble n’émouvoir personne au demeurant. Reste une heure avant le rendez-vous, le temps de déguster un burger à la terrasse, sous abri, d’un beau steak house. Accueil excellent, service prévenant, burger parfait accompagné de tomates, rondelles d’oignons doux et french fries curieuses, comme enrobées d’un mélange de sel et de paprika, mais en fin de compte excellentes. Retour au cargo avec le même chauffeur, d’une ponctualité remarquable. Karren annonce un changement de cap en raison du cyclone ; nous allons longer la côte jusque Miami puis celles de la Dominique, Haiti et Cuba côté ouest pour nous protéger des vents violents. Les prévisions, relayées paraît-il heure par heure par toutes les télés du pays, penchent pour une remontée du cyclone vers NY, ce qui devrait nous être favorable.

Vendredi 02-10/J14
La météo incite à la prudence. Fort roulis, averses provenant du cyclone dont nous nous éloignons en longeant la côte. Les Bahamas sont submergées. C’est derrière l’archipel que nous allons nous glisser, à l’est de la Floride, de manière à être protégés. Longue lecture, entrecoupée de visites à la passerelle, à nouveau accessible. La carte météo confirme la remontée du cyclone vers le nord. Manifestement, d’autres ont eu la même idée et se dirigent vers le couloir entre Bahamas et Miami. La mer grossit peu à peu, le bateau oscille et balance en cadence. Journée un peu morne. Soirée série BBC histoire d’espionnage de John Le Carré, pas trop difficile à suivre.

Samedi 03-10/J15
Temps superbe mais le ciel est parsemé de nuages d’averses. Nous sommes désormais engagés dans l’étroit couloir qui sépare le continent des Bahamas. On « roule à droite », en se suivant à distance respectable (2 miles minimum). Dans l’autre sens, une succession de cargos, tankers et paquebots rutilants. L’air est chaud, on dépasse allègrement les 30°. Sur la partie ombragée en revanche, la ventilation fonctionne au-delà de toutes les espérances. Farniente couché sur le pont ! Fin de la lecture de « La traque du mal », du journaliste anglais Guy Walters, assez cruel pour le « chasseur de nazis » Simon Wiesenthal. En fin d’après-midi, nous longeons Cuba, mais sans l’apercevoir. Le soir, l’horizon s’éclaire de coups de tonnerre, images magnifiques. Repas léger en compagnie de Paul, désolé de l’élimination de l’Angleterre à la Rugby World Cup ! Karan confirme qu’il sera en notre compagnie jusque Melbourne. Soirée Le Carré.

Dimanche 04-10/J16
Côtes de Cuba en vue, temps en tous points identique à la veille. Normalement, nous devrions être à Kingston vers 20h. Sieste matinale réparatrice. Excellent repas indien à midi ; le soir lasagne maison bien réussie (et sans la foutue béchamel dont on inonde ces préparations chez nous !). Après-midi lecture. Pour la première fois, un peu de lassitude.
Karen nous ayant communiqué une masse de films, je revois « Inglorious Basterds » de Tarantino avec grand amusement. Dehors, régime d’éclaircies et d’averses sous un vent de face terrible, qui n’atténue que partiellement la chaleur moite. Soirée entamée sur la passerelle où la vue sur la Jamaïque est grandiose. La montagne bleue porte bien son nom. Pas mal de trafic, l’accostage sera retardé d’au moins une heure en raison du trafic. A 21h, on s’arrête. Devant nous, cinq navires attendent leur tour pour accéder au port, il semble que l’on aura du retard.

Lundi 05-10/J17
2h30, sommes toujours en rade et le resterons jusqu’à 6h00. Le site du port est grandiose, en forme de demi-cercle adossé à la montagne. Lever du jour sublime. La raison du retard – près de sept heures – tient aux inondations qui ont touché Kingston dans l’après-midi de dimanche. On ne sait pas si on aura le temps de descendre, car il faut attendre l’immigration, qui arrivera quand elle voudra, indique le captain d’un air entendu ! Patience donc. Je rédige ces lignes quand arrivent le captain, Kobal le 3e officier accompagnés d’une fonctionnaire casquée chargée de vérifier les documents du bord. Un authentique cerbère, aussi sympathique qu’une porte de prison. « Five passengers », lit-elle sur le document. « No, three, two went away in Savannah », répond le captain. Oulàh, le cerbère hausse le ton dans le genre « je suis un petit chef, et je vais vous le prouver ». Le captain reconnaît l’erreur, dans un calme olympien. L’amende peut aller, si je comprends bien, jusque 50.000 USD, aboie le cerbère. Pour ne pas embarrasser notre captain, je préfère m’éclipser. Triste premier contact avec la terre du reggae et d’Usain Bolt. Heureusement, accueil charmant de l’immigration ! Chouette !

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